Contrairement au suivi des indicateurs qualité ou de processus, qui évaluent la productivité et le respect des normes de soins recommandés, les PROMs tentent de déterminer si les services fournis ont vraiment amélioré la santé et le sentiment de bien-être des patients.
Il s’agit, par exemple, de demander aux patients d’évaluer leur état de santé général, leur capacité à effectuer diverses activités, leur humeur, leur niveau de fatigue et de douleur…
Auteures : Martha Hostetter et Sarah Klein du Commonwealth Fund
Lien vers l’article en anglais : https://www.commonwealthfund.org/publications/newsletter-article/using-patient-reported-outcomes-improve-health-care-quality
Les mesures des résultats des soins tels que rapportés par les patients (Patient Reported Outcome Measures ou PROMs en anglais) sont une composante essentielle de l’évaluation du rôle des cliniciens dans l’amélioration de la santé des patients. Contrairement au suivi des indicateurs qualité ou de processus, qui évaluent la productivité des prestataires et le respect des normes de soins recommandés, ou aux mesures de l’expérience patient, qui se concentrent sur certains aspects de la prestation de soins tels que la communication, les PROMs tentent de déterminer si les services fournis ont vraiment amélioré la santé et le sentiment de bien-être des patients.
Il s’agit, par exemple, de demander aux patients d’évaluer leur état de santé général, leur capacité à effectuer diverses activités, leur humeur, leur niveau de fatigue et de douleur. Jusqu’à présent, les tentatives du gouvernement fédéral américain, des gouvernements des États et des payeurs privés (compagnies d’assurances privées) d’évaluer les résultats des soins se sont principalement appuyées sur le suivi des réadmissions potentiellement évitables, des taux d’infections nosocomiales et de la mortalité. Ils se sont également appuyés sur des mesures objectives d’amélioration de l’état de santé du patient, comme les variations de la pression artérielle chez les personnes souffrant d’hypertension, ou les tests d’hémoglobine A1c chez les diabétiques.
L’opinion des patients sur leur état de santé a, depuis toujours, rarement été sollicitée en dehors des essais cliniques pour de nouveaux médicaments ou de nouveaux dispositifs médicaux, et dans des spécialités médicales qui traitent des conditions pour lesquelles il existe peu de mesures d’amélioration. Pourtant, la mesure ultime de la performance du système de santé est de savoir si ce système aide les patients à se remettre d’une maladie aiguë, à bien vivre avec une maladie chronique et à affronter avec dignité leur fin de vie – et les feedbacks des patients sont le seul moyen d’évaluer efficacité et succès.
Dans les années à venir, les PROMs devraient jouer un rôle plus important dans l’évaluation des performances de l’offre de soins et pour déterminer l’efficacité comparative des différents traitements, notamment en raison d’un accent croissant mis sur les soins centrés sur le patient et les modèles de paiement basés sur la valeur. Par exemple, d’ici 2015, les prestataires de santé américains qui participent à des ACO (pour accountable care organizations – organisations de soins intégrés issus de la loi Obamacare) devront fournir des preuves que les soins qu’ils ont prodigués ont produit de la valeur pour le patient, et ce selon ce même patient. Le Bureau du Coordonnateur national des technologies de l’information sanitaire du Ministère de la Santé et des Services Sociaux américain prévoit également d’incorporer les PROM dans des « indicateurs d’utilisation significatives », ce qui entraînera probablement leur utilisation plus généralisée.
On s’attend également à ce que les PROMs soient utilisés pour évaluer la performance des prestataires de soins, permettant potentiellement aux payeurs (ie. Assurances maladies) de créer un lien entre remboursement et preuves de l’efficacité d’un traitement. « Je pense que les résultats rapportés par les patients créent une toute nouvelle boucle de feedback [sur la qualité des soins], et, pour la première fois, ce feedback est créé à partir de mesures de la qualité évaluée par le patient, et non plus le médecin », commente Kristine Martin Anderson, vice-présidente senior du cabinet de conseil Booz Allen Hamilton.
- L’utilisation des PROMs dans la pratique clinique
Aux États-Unis, les PROM en sont au premier stade de développement pour une utilisation dans la pratique clinique. Ils sont notamment utilisés pour suivre les maladies qui reposent sur les évaluations des patients (plutôt que sur des tests diagnostiques) comme la dépression ou certains troubles gastro-intestinaux.
Le Centre de la colonne vertébrale du Centre Hospitalier Dartmouth-Hitchcock (New Hamsphire) recueille des données sur les résultats rapportés par ses patients depuis 1997, à l’aide du formulaire SF-36 (lien vers la version française ci-dessous), une enquête sous forme abrégée comportant 36 questions générales utilisées pour évaluer la santé fonctionnelle et le bien-être, et l’indice de handicap d’Oswestry, qui est utilisé pour quantifier l’incapacité liée à la lombalgie.
Les patients remplissent ces questionnaires en ligne afin que les résultats soient disponibles lors de leur première consultation à la clinique. Les données sont ensuite recueillies au fil du temps et classifiées par degré de pénibilité des conséquences de la maladie, ce qui permet au Centre de définir si une intervention médicale ou chirurgicale est préférable pour telle ou telle maladie spécifique. Les résultats sont disponibles sur le site internet du Centre et les patients sont encouragés à les consulter lorsqu’ils envisagent différentes options de traitement.
Les PROM sont également utilisées au Centre médical de l’Université de Pittsburgh (UPMC). Les patients visitant le service de consultation ambulatoire du centre remplissent le SF-36 sur des tablettes électroniques avant de consulter un médecin généraliste. L’outil aide les praticiens à identifier les patients souffrant de dépression et les personnes âgées qui ont une mobilité réduite. Selon Rachel Hess, professeure de médecine, d’épidémiologie et de science clinique et translationnelle à l’Université de Pittsburgh, dans un groupe de santé tel que celui de l’UPMC, les données des PROM pourraient également aider à améliorer la coordination des soins : « Lorsque les patients passent de la clinique de soins primaires à différentes suivis auprès de spécialistes, pour des maladies particulières, il serait utile d’avoir ce type de données normalisées à travers le temps, pour connaître l’évolution de la maladie a évolué et comment elle a répondu à différents traitements ».
- Les obstacles à l’utilisation des PROM
Nonobstant ces exemples, l’utilisation des questionnaires PROM n’est pas répandue aux États-Unis, notamment en raison des défis de collecte et d’utilisation de ces informations d’une manière qui ne perturbe pas le flux de travail des cliniciens. Par ailleurs, les praticiens ne sont généralement pas en mesure de facturer le temps passé à réaliser ces enquêtes ou à interpréter leurs données.
Il est également difficile de relier les résultats rapportés par les patients à des traitements particuliers, car de nombreux facteurs – y compris l’implication des patients et les facteurs sociaux – influencent les résultats. Les prestataires peuvent ne pas voir la valeur des résultats rapportés par les patients ou manquer de formation, ou de ressources, pour pouvoir les utiliser efficacement.
Selon Janet Corrigan, présidente et directrice du Forum américain de la qualité, pour surmonter certains de ces défis, il est nécessaire de démontrer qu’il est possible de collecter ces données sur une base généralisée et non comme une étude de recherche à petite échelle. Il faut ensuite commencer à transmettre ces informations aux cliniciens et aux patients, et montrer comment les utiliser au mieux pour éclairer les décisions en matière de soins, puis regrouper les données sur les résultats pour aider à évaluer les performances des systèmes de prestation intégrés, tels que les ACO.
Pour promouvoir une utilisation plus généralisée des questionnaires PROM, les enquêtes doivent également être faciles à remplir pour les patients, par exemple via des applications pour smartphone, des outils web voire dans les pharmacies. Selon Chris Weiss, co-fondateur et président de Dynamic Clinical Systems (fournisseur de logiciels et de services de gestion PROM), les données PROM doivent également être faciles à utiliser par les praticiens : « Les fournisseurs de dossiers de soins électroniques doivent traiter les PROM comme les résultats de laboratoire ou tout autre élément stocké dans le dossier, plutôt que comme des problèmes ponctuels ».
Enfin, les soignants doivent se réconcilier avec le caractère nécessairement imprécis des résultats rapportés par les patients. Selon Darren Dewalt, professeur agrégé de médecine à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill et chercheur PROM, « Il peut y avoir une erreur dans chaque test sanguin commandé, chaque scan effectué – nous traitons cela chaque jour dans l’univers clinique. Les questionnaires PROM peuvent vraiment fournir une compréhension structurée des maladies des patients, plus que de simples histoires narratives. »
- PROMIS : un modèle national
Il est prévu que le développement de la méthodologie PROM s’appuie sur le nouveau système d’information développé par l’Institut américains de la santé (PROMIS), un programme lancé en 2004 réunissant cliniciens, chercheurs et patients pour définir et valider les questionnaires PROM applicables notamment pour la prise en charge des patients atteints du VIH, d’un cancer, ou porteurs de handicap. L’objectif de PROMIS est de créer des mesures plus précises et de réduire le nombre de questions nécessaires, afin de rendre les questionnaires mieux adaptés à une utilisation en pratique clinique.
Les mesures, qui sont disponibles dans le domaine public, à disposition des chercheurs et des organisations de soins de santé, ont été développées pour couvrir différents champs du bien-être comme la douleur, la fatigue, la dépression et les activités sociales ou physique. Chaque champ comprend plusieurs éléments à partir desquels les utilisateurs peuvent sélectionner le type et le nombre de domaines les plus appropriés, puis les regrouper pour créer un score global, permettant une flexibilité d’utilisation de cet outil pour différentes maladies et permettant des tests informatisés adaptatifs, dans lesquels les patients reçoivent les questions mieux ciblées en fonction de leurs réponses aux questions précédentes.
Darren Dewalt teste les mesures PROMIS auprès de quatre groupes de patients en pédiatrie : les enfants atteints de drépanocytose (SCD), qui provoque des épisodes de douleur aiguë ; les enfants atteints du syndrome néphrotique, une maladie des reins qui provoque un œdème dans l’organisme ; les enfants qui souffrent d’asthme ; et enfin les enfants atteints d’un cancer et qui subissent une chimiothérapie. « Nous essayons de déterminer les changements à apporter aux questionnaires PROM en fonction des variations de ces maladies et de leurs symptômes. Détectent-ils des différences importantes, telles que la diminution des effets secondaires après la chimiothérapie, ou un changement au niveau de la fatigue ou de l’anxiété quand un enfant avec SCD se remet d’une crise ? Et à quel point un changement est important, du point de vue des enfants. »
Les patients ont été impliqués dans le développement et la validation des mesures PROMIS. Par exemple, Dinesh Khanna, professeur agrégé de médecine à l’Université du Michigan, et chercheur PROMIS, a aidé à mener des groupes de discussion et des entretiens cognitifs avec des patients souffrant de troubles gastro-intestinaux tels que le syndrome du côlon irritable pour voir si l’approche conceptuelle de la mesure a atteint une excellente validité apparente et de contenu (c.-à-d. qu’elle a du sens et est complète). Entre autres choses, les réponses des patients ont aidé à affiner une question concernant la diarrhée (les patients ont noté des distinctions entre les selles molles et la fréquence) et la différence entre l’apparence des ballonnements et ce que les patients ressentent.
- Recherche d’efficacité comparative
Selon Sherine Gabriel, professeure de médecine et d’épidémiologie à la Mayo Clinic et présidente de Comité de méthodologie du PCORI, les mesures des résultats rapportés par les patients seront essentielles aux travaux de l’Institut de recherche sur les résultats centrés sur le patient (PCORI) : « la motivation derrière la création du PCORI était de changer la façon dont nous menons la recherche médicale en nous concentrant beaucoup plus sur les besoins des patients et ce qui est important pour eux ». Le PCORI a publié un rapport identifiant les méthodes pour améliorer les mesures nécessaires à la recherche d’efficacité comparative.
Le Registre britannique des remplacements articulaires offre un modèle d’utilisation des questionnaires PROM dans la recherche d’efficacité comparative des différentes procédures. Depuis 2002, il recueille des données sur toutes les arthroplasties de la hanche, du genou et de la cheville qui ont lieu en Angleterre et au Pays de Galles. Les données sur les résultats – y compris les taux de révision ou les taux de chirurgies de suivi nécessaires pour retirer et remplacer un implant défectueux, ainsi que les données sur la mortalité – sont suivies pendant huit ans après la chirurgie initiale et publiées dans des rapports publics annuels. Les objectifs de cette démarche sont d’améliorer la sécurité des patients et les résultats cliniques, en fournissant des informations sur l’efficacité comparative des différentes techniques et procédures de remplacement articulaire, et d’éclairer la prise de décision des patients. Par exemple, les données sur les résultats ont permis le rappel volontaire d’un système de prothèse de la hanche par son fabricant et ont soutenu une enquête sur les révisions dues à des réactions apparentes des tissus mous chez les patients recevant des arthroplasties de la hanche métal-métal.
Certains experts suggèrent que le regroupement des données sur les résultats rapportés par les patients – au niveau organisationnel, régional ou même national, et parmi différentes populations de patients – est le moyen le plus prometteur d’utiliser les PROM pour améliorer la qualité des soins de santé. Au sein des hôpitaux, les données des PROM peuvent permettre aux praticiens d’identifier forces et faiblesses des soins qu’ils offrent et de comparer leurs résultats à ceux d’organisations homologues (par exemple, dans quelle mesure ont-ils réussi à maîtriser l’asthme ou à encourager les patients diabétiques à modifier leur mode de vie).
Selon Sarah Scholle, vice-présidente adjointe du Comité américain pour l’assurance qualité (NQCA), les organisations de soins intégrés (ACO) sont idéales pour utiliser les questionnaires PROM de cette manière : « Les ACO sont suffisamment proches des patients pour avoir un effet sur leurs soins, mais suffisamment étendus pour avoir de bonnes tailles d’échantillons. Et avec les ACO, vous pouvez vous pencher sur la responsabilité des soins globaux – par exemple pour le remplacement articulaire, pas seulement la chirurgie, mais les soins de suivi, la thérapie, l’ensemble des services – qui affectent les résultats pour les patients. »
Cet intérêt pour les résultats des soins tels que rapportés par les patients va de pair avec l’accent mis par le triple objectif, qui vise l’amélioration non seulement de la qualité des soins, mais aussi de la santé des patients et des communautés (tout en réduisant les coûts). Et selon Mary Barton, vice-présidente de la mesure du rendement du NCQA, l’accent mis par les questionnaires PROM sur les résultats fonctionnels parle aux patients : « Ce sont des choses qui comptent pour les patients : est-ce que je me sens mieux ? »
Pour aller plus loin :
- Indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins – Aide à l’utilisation de questionnaires patients de mesure des résultats de soins dans le cadre de l’expérimentation «Episode de soins» Haute Autorité en Santé
https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-10/iqss_2019_aide_utilisation_proms_eds.pdf